Des histoires
Un château se construit avec les mains… mais il s’anime grâce aux histoires.
La princesse aux bottes de boue
Écoute : il était une fois une princesse qui n’aimait pas les miroirs, mais les flaques. Elle chaussait des bottes de boue et partait, au petit matin, saluer les tours du château fort comme on salue des vieilles tantes.
Dans la cour, on disait qu’un prince, là-bas, dans la tour la plus loin, attendait qu’on vienne le sauver de son ennui. La princesse haussait les épaules : « on ne sauve pas quelqu’un, on l’invite à marcher ».
Alors elle grimpa l’escalier qui tourne, la main sur la rampe tiède, et chaque marche lui glissa un secret : garde ton souffle, écoute les pierres, souris aux ombres qui n’ont pas dormi.
Au chemin de ronde, le vent froufroute comme une cape. La princesse noua un ruban rouge à une créneau, puis un bleu, puis un or, pour montrer la route aux idées qui voudraient se perdre.
Elle trouva le prince devant sa fenêtre. Il avait le front appuyé au ciel. « Je t’attendais », dit-il. « Moi, je t’attendais dehors », répondit-elle. Et elle lui tendit ses bottes de boue.
Ils descendirent ensemble, lentement, en comptant les pas à l’envers pour déplier la peur. Dans la cour, l’odeur du pain leur cueillit un sourire, et la forge battit comme un cœur qui approuve.
« Et si on ouvrait une porte qui n’existe pas encore ? » proposa la princesse. Ils dessinèrent une poterne au charbon, poussèrent très fort, et la porte inventée s’ouvrit comme on respire pour la première fois.
Dehors, l’herbe fit un bruit de fête. Le prince apprit à marcher sans couronne et la princesse à ne pas s’excuser d’être joyeuse. Ils plantèrent un fanion sur une taupinière et l’appelèrent « Colline des Commencements ».
Le soir, ils revinrent avec des planches et des cordes. Ils posèrent un petit pont entre deux tours, une passerelle pour aller plus vite dire « bonjour » aux étoiles, et un escalier secret qui savait garder les secrets.
Alors, si tu veux les aider, construis-leur des chemins : une passerelle pour l’audace, un escalier pour la patience, une porte qui s’ouvre quand on rit. Tu verras, le château fort aime qu’on lui ajoute des idées.
La marchande devenue chevalière
Sur la place, une marchande tenait un étal de rubans : rubans brise-chagrin, rubans coupe-brouillard, rubans qui font danser les moustaches des chats. Elle parlait aux couleurs comme à des amies.
Un jour, le château monument invita tout le monde à entrer par son grand escalier, celui qui fait « chhhh » sous les pas polis. La marchande leva le menton : ses rubans aussi avaient le droit de monter.
Dans la galerie, les miroirs se copient et s’inventent. Le maître d’armes demanda : « Que vends-tu ? » — « Des commencements », répondit-elle. Et les miroirs, ravis, se plièrent en sourires.
On la mit à l’épreuve : traverser la salle des Courants d’Air sans froisser un seul rideau. Elle défit un ruban bleu, le noua autour du vent, et marcha avec lui comme on marche avec un ami pressé.
Deuxième épreuve : faire rire la grande statue qui n’a jamais ri. Elle accrocha un ruban doré au cou de la statue et lui chuchota le nom d’un souvenir. La pierre eut un petit hoquet, puis un éclat de rire profond qui fit trembler les cadres.
Troisième épreuve : ouvrir une porte qu’aucune clef n’aimait. La marchande posa un ruban rouge sur la serrure. « Ça ne vous va pas au teint », dit-elle à la porte. Flattée, la porte s’ouvrit pour voir.
Alors le maître d’armes déposa sur ses épaules une cape légère : « Tu es chevalière des Rubans. Ta lame sera une parole juste, ton bouclier un geste qui rassure. »
La marchande-chevalière salua les escaliers, les fenêtres, le grand lustre. « Vous êtes beaux quand quelqu’un ose vous traverser », dit-elle. Et tous les dorures brillèrent un peu plus fort.
Si tu veux, offre-lui une salle d’apparat où les voix n’échoient pas, un balcon pour lancer des idées, un perron qui aide les timidités à monter. Dans un château, la plus belle armure, c’est l’accueil.
La famille aux mains de farine
Ils arrivèrent à quatre, avec un chariot qui chantait et des poches pleines de miettes : Mama, Papa, et deux enfants aux yeux de four. Ils cherchaient un endroit où le pain ne refroidit jamais.
Le château avait plusieurs cours comme autant de places. Ils choisirent la plus petite, celle où le soleil reste tard pour écouter. « Ici, on fera des matins même le soir », dit Papa.
On monta un four de briques, vite mais avec douceur. La première braise eut peur, alors Mama lui raconta une histoire de graines qui voyagent. La braise se carrée, fière comme un chat roux.
Les enfants pétrirent la pâte avec des mots. À chaque tour, ils ajoutaient un souvenir : « pour Papi qui sifflait », « pour le pont qui bouge », « pour la pluie qui tape sur le seau ». La pâte leva, contente d’être invitée.
Le parfum trouva les couloirs tout seul. Les gardes prirent des mines de fête, les fenêtres s’ouvrirent comme des bouches rieuses, et la cloche, jalouse, sonna pour avoir sa part.
On inventa une boutique qui n’existait pas la veille, avec une étagère pour les petits pains qui racontent des blagues, un tiroir pour les croissants qui se prennent pour des lunes, une caisse où on rend la monnaie en compliments.
Le soir, la famille dessina sa maison à la craie : un lit qui sent la brioche, une table qui n’oublie jamais les miettes, un banc pour regarder les étoiles manger le ciel. Puis ils soufflèrent sur le dessin et la maison se posa, vraiment.
Le lendemain, on décida que la cour serait aussi une place : un puits devint une fontaine fée, un banc se fit scène pour les chansons, un escalier servit de gradins pour applaudir les tartines.
Si tu veux leur donner un coup de main, bâtis-leur un four qui n’a jamais froid, une fenêtre ronde pour surveiller la lune, un auvent où la pluie aime écouter les histoires. Dans un château-ville, les maisons poussent comme des bonnes idées.
Les messagers du vent
Au-dessus des salles, là où les poutres connaissent les nuages par leurs prénoms, marchent deux enfants : Lira et Malo. Ils portent chacun une lettre pliée en oiseau, confiée par le vent lui-même.
La première coursive grince d’amitié. « Pose ton pas dans mon pas », dit Lira. Malo essaie, rit, et le bois rit aussi. Les toits aiment qu’on vienne leur raconter ce qui s’invente en bas.
Une girouette incline le front : par là, vers la tour aux tuiles rousses. On tend une planche, on la rassure, on la remercie. Les pas deviennent un pont, et le vent applaudit en froissant des feuilles invisibles.
Par une lucarne, ils voient la cour : un four qui fume, un drapeau qui fait des grimaces, un chat qui patiente sous une chaise. « On apportera des nouvelles quand on redescendra », promet Malo.
Dans le grenier, des jarres gardent la pluie de l’année dernière. Lira y trempe un doigt : « elle a le goût de clochettes ». Ils rient si doucement que la poussière danse sans se vexer.
Voilà la petite terrasse qui tient dans un sourire. L’oiseau de papier de Lira s’anime, avide d’air. Elle le lance, il tourne, il hésite, puis choisit une fenêtre restée ouverte et disparaît avec un merci très fin.
Le message de Malo, lui, préfère les hauteurs. Il s’accroche à la girouette, qui prend la pose des rois. « Vers l’est demain », dit-elle sans parler. Alors ils posent deux nouvelles planches, pour demain.
Quand la lumière s’adoucit, les toits deviennent archipel. On pourrait y dormir, pense Lira, si on savait rêver sans tomber. « On apprendra », répond Malo, et les étoiles clignent comme des clous d’argent.
Si tu veux poursuivre leur voyage, ajoute-leur des passerelles courtes et courageuses, une échelle qui dit « vas-y », une trappe qui aime s’ouvrir pour les rires. Les coursives, c’est l’endroit où les histoires prennent de l’air avant de redescendre.